Le drame de la rue de Patay
Le Radical ― 16 septembre 1892
Hier après-midi, un homme d'une quarantaine d'années s'affaissait sur le trottoir de l'avenue d'Ivry. Les gardiens de la paix le transportèrent dans une pharmacie voisine, où le médecin appelé déclara qu'il n'avait que cinq heures à vivre et qu'il y avait urgence à le transporter à l'hôpital.
Le malade, Paul Bouquet, ouvrier forgeron, refusa de s'y laisser conduire, et voulut qu'on le menât chez lui, 45, rue de Patay, où se trouvait sa femme. Les agents l'y conduisirent en voiture. A la porte du logement, au troisième étage, on frappa inutilement. Le concierge assurait pourtant avoir vu sa locataire un quart d'heure auparavant.
Le malade ne pouvant attendre, les agents se décidèrent à enfoncer la porte. À peine avait-elle cédé, qu'une fumée intense s'échappait.
Lorsqu'elle fut dissipée, un spectacle navrant s'offrit aux yeux des assistants.
Sur le lit, vêtue d'une chemise blanche, reposait la femme Bouquet, âgée de trente-quatre ans. Un poêle plein de charbon était en pleine combustion. La malheureuse s'était suicidée tenant entre ses mains crispées le portrait de son mari.
La désespérée avait placé sur une table une lettre contenant ces mots :
« Je désire qu'on m'enterre telle que je suis. Adieu Bousquet, ce n'est pas ta faute si je rends cette détermination. Je te pardonne, Conduis-toi mieux désormais. »
Bousquet, que les renseignements des voisins ont présenté comme un ivrogne, qui querellait chaque jour sa femme, a été transporté à la Pitie et admis salle Piorry. Il a pu, malgré son état, se rendre compte de la scène qui s’est déroulée sous ses yeux, mais on lui cache avec précaution la mort de son épouse, on redoute avec raison une issue fatale. Il avait été frappé d'une congestion déterminée par l'ivresse.