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La Reconstruction des Gobelins
Le Figaro — 9 juin 1886
Il paraît décidé qu'on conservera pieusement les ruines de la Cour des
Comptes, comme souvenir de 1871 d'abord, et ensuite comme musée de la flore
parisienne qui s'y épanouit à loisir. Les habitants du quartier y sont
maintenant accoutumés et se désoleraient de ne plus-voir les tiges et les
rameaux verts qui, de tous côtés, sortent par les fenêtres, parant de la
façon la plus pittoresque les pierres noircies et les fers tordus.
Mais il est un autre monument, également ruiné par la Commune et dont la
vue séduit beaucoup moins. Je veux parler de la façade que la manufacture
des Gobelins avait autrefois sur l'avenue qui porte son nom, façade «
provisoirement » remplacée par une construction en platras et une palissade
en planches du plus déplorable aspect.
C'est surtout depuis que la place d'Italie a été nivelée et transformée
en un square charmant ; depuis qu'on a démoli le déplaisant bureau d'octroi
qui servait de mairie, pour élever un élégant Hôtel de Ville ; depuis que
tout le quartier, si affreux et si obscur autrefois, a été percé, aéré et
embelli, que la façade actuelle et « provisoire » des Gobelins paraît
d'autant plus affreuse.
Longtemps on a attendu, espérant toujours une reconstruction qui serait
le couronnement des embellissements de ce quartier rénové. Mais, comme
Philis, à force d'espérer toujours, les habitants ont fini par désespérer,
et ils viennent de passer de la période d'expectative à la période d'action.
Un comité s'est donc formé, comité composé de propriétaires et de
commerçants des cinquième et treizième arrondissements, afin de provoquer un
mouvement en faveur de la reconstruction si ardemment désirée. Le bureau se
compose de MM. Limay, restaurateur, avenue des Gobelins, président ; Oger,
négociant, vice-président ; Bouet, maître d'hôtel, secrétaire-trésorier ;
Bidault et Commissaire, négociants, assesseurs.
Par les soins de ces messieurs, la question a été étudiée, et ils sont
arrivés à ce résultat fantastique que « la façade peut être reconstruite
sans qu'il en coûte rien ou presque rien » !...
En effet, il existe derrière la manufacture d'immenses terrains qui font
partie du Domaine. Ces terrains sont depuis longtemps inoccupés, la
destination pour laquelle ils avaient été conservés n'existant plus.
Sous l'Empire, des spéculateurs voyant à tirer parti de ces terrains pour
y fonder des cités ouvrières, en avaient offert plus de quinze cent mille
francs. On peut donc affirmer qu'aujourd'hui, avec la plus value que donnent
les embellissements du quartier et celle qu'apportera encore
l'assainissement de la vallée de la Bièvre, instamment réclamé par le
Conseil de salubrité et le Conseil municipal, on peut affirmer, dis-je,
qu'on tirerait de ces terrains de deux à trois millions.
Or, au maximum, il faudrait quatre millions pour refaire en entier la
construction détruite. Comme on le voit, l'excédent de dépense ne serait pas
considérable.
Le Comité se demande d'ailleurs si sur les neuf à dix millions qu'a
rapportés la fameuse Loterie des Arts décoratifs, on ne pourrait pas
prélever quelque obole pour ce monument qui touche suffisamment, croit-il, à
l'art de la décoration - on pourrait même dire qui en forme la branche
principale.
Une pétition, lancée dans les deux arrondissements, s'est rapidement
couverte de signatures. Il y en a aujourd'hui plus de dix mille, ainsi qu'on
l'a constaté dans la réunion tenue vendredi soir.
Le projet ne rencontre qu'une seule opposition, delà part... des ouvriers
de la manufacture !... qui, logés dans les bâtiments, ont installé des
jardins dans les terrains qu'on voudrait aliéner et se désespèrent à l'idée
de renoncer aux magnifiques artichauts qu'on y récolte en ce moment.
Cette considération prévaudra-t-elle ? Nous espérons que non. Il est
temps qu'on remédie à un état de choses qui, vu le nombre des étrangers qui
viennent chaque jour visiter les Gobelins, est véritablement une honte
nationale.
Georges Grison.
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