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Dans l'actualité des ...

 4 février

Jeudi
4 février 1897

Le Président de la République, accompagné de M. Barthou, ministre de l'intérieur du général Tournier, de M. Le Gall et du commandant Meaux Saint-Marc, s'est rendu hier, vers une heure de l'après-midi, en voiture, à Villeneuve-l'Etang pour visiter les dépendances de l'Institut Pasteur, où sont soignés les chevaux destinés à produire le sérum antidiphtérique.

M. Félix Faure a été reçu par M. Duclaux, directeur, et le docteur Roux, sous-directeur de l'Institut Pasteur, entourés de quelques-uns de ses collaborateurs.

La présence de M. Roux, hier, à Villeneuve-l'Etang montre ce qu'il faut penser des informations de quelques journaux qui représentaient le savant excursionnant en Espagne, voire sur le littoral marocain, et des interviews sensationnelles qui lui auraient été prises à Séville… alors qu'il poursuivait ses travaux à Paris.

Le Président de la République a parcouru avec le plus vif intérêt les écuries et les laboratoires, créés à la suite de la magnifique souscription ouverte par le Figaro.

Il a quitté Villeneuve-l'Etang à deux heures et demie.


La pudeur au Palais

Pour se rendre un compte exact de l'étiage de la pudicité au Palais de Justice, dans le courant, de l'année 1897, les moralistes de l'avenir n'auront qu'à consulter un document historique d'un nouveau genre le menu du buffet-restaurant du barreau, buffet situé presque sur l'emplacement même du cachot de Marie-Antoinette, et que fréquentent assidument magistrats et avocats.

A la date du mardi 2 février 1897, ce menu mentionnait, entre des gaufrettes et une crème café, les classiques pets de nonne, sous le vocable pudibond «zéphyrs de nonnes ».

Zéphyrs de nonne ! M. Bérenger n'aura désormais plus de motif pour refuser de grignoter au Palais les beignets soufflés que le dix-huitième siècle avait si impudemment appelés comme l'on sait.

En opérant cette métamorphose d'expressions culinaires, le propriétaire du buffet-restaurant du barreau a-t-il obéi aux ordres du parquet, ou à une injonction de Me Cresson, ou simplement la voix d'un intérêt commercial bien entendu ?

Nous nous garderons bien de chercher à éclaircir ce point, désireux de laisser aux moralistes de l'avenir, dont nous parlions, le plaisir de trouver eux-mêmes quelque chose dans la question.

Le Matin

Pour une fois, on s'est occupé, au Palais-Bourbon, d'une question d'actualité. La Commission de la réforme judiciaire s'est, en effet, réunie et elle a examiné le projet du ministre de la justice, dont l'adoption simplifierait singulièrement les vieux rouages judiciaires qui, par ces temps de bicyclettes et d'automobiles, grincent comme des roues de vieille diligence.

M. Darlan, qu'il faut féliciter de s'attacher à ces réformes d'ordre pratique au lieu de se perdre dans les réformes à fracas qui n'aboutissent jamais, a clairement exposé à la Commission les avantages de son projet et les excellentes raisons qu'il a données paraissent avoir très favorablement impressionné les commissaires. Il est donc probable que la réforme aboutira prochainement.

Ce n'est pas les justiciables qui s'en plaindront!


La meilleure et la pire des choses.

C'était la langue, on s'en souvient, qui, au dîner d'Ésope, fut servie aux convives avec les assaisonnements et sous les aspects les plus variés.

Aujourd'hui, et sans apologie, la meilleure des choses est l'extrait de viande Liebig. Il ne s'accommode pas, c'est lui, au contraire, qui accommode la plupart des sauces et qui leur communique le plus excitant et le plus délicat de leur saveur.

La pire des choses, c'est d'en manquer.


Révolution dentaire. Le nouveau dentier Prœcisus Duchesne breveté est une véritable trouvaille. Quel progrès accompli ! Faire manger les aliments les plus durs avec les dents artificielles. Les dentiers mal faits sont réparés. Prix modéré. 45, rue Lafayette, Paris.

5 février

Vendredi
5 février 1897

ÉCHOS DU MATIN

M. Lebon, ministre des colonies, ancien ministre du commerce, a visité, hier, l'école d'horlogerie de Paris.


Mme Félix Faure, dont l'état de santé s'améliore peu à peu, espère pouvoir se rendre demain au bal de l'Hôtel de Ville.


M. Barthou, ministre de l'intérieur, assistera, dimanche, au banquet annuel de l'Association des journalistes républicains.


Hier ont été apposées aux angles de la nouvelle rue percée récemment entre l'avenue Bosquet et l'avenue Rapp, sur l’ancien emplacement de l'hôpital militaire du Gros-Caillou, les plaques portant le nom de Mgt Dupont des Loges, l'évoque patriote de Metz.


Le conseil des ministres a décidé que le bénéfice de la campagne de guerre sera accordé aux officiers, sous-officiers et soldats du corps d'occupation de Madagascar pour l'année 1896.


Une vente de charité et une tombola composées d'œuvres inédites de Puvis de Chavannes, Bonnat, Henner, Roll, Français, Detaille, Benjamin-Constant, etc., s'organise au ministère des travaux publics, sous la présidence de Mme Turrel, au bénéfice de l'Œuvre des crèches parisiennes.


On a les plus mauvaises nouvelles de la santé de M. l'abbé Gaussanel, curé de Grenelle, qui avait été atteint, il y a quelques semaines, d'une crise d'influenza, et a dangereusement aggravé son état, en persévérant jusqu'à lundi dans l'exercice de son ministère.


L'Amour dominateur, par Mme Hector Malot, paraît chez Ernest Flammarion. Ce titre dit ce qu'est le roman l'évolution de l'amour chez la femme, celle de vingt ans, celle de trente, celle de quarante. Cette évolution, notée subtilement, est peinte avec largeur par une plume féminine qui en a fait un bien curieux livre.


C'est après-demain dimanche qu'aura lieu, à midi, à l'Hôtel Continental, le banquet offert aux nouveaux, sénateurs élus inscrits au groupe de la Gauche démocratique, sous les auspices du Comité d'action pour les réformes républicaines. M. Léon Bourgeois, qui sera de retour demain à Paris, présidera le banquet et y prononcera un grand discours politique.


Hier soir, dans la salle de la Société de géographie, a eu lieu la quatrième conférence de l'Union coloniale française, sur « Ce qu'on peut faire au Tonkin », sous la présidence de M. Aynard, député, président de la chambre de commerce de Lyon. Le conférencier était M. U. Pila, membre de la chambre de commerce de Lyon, bien connu par le rôle qu'il a joué dans les entreprises commerciales françaises en Extrême-Orient.


Il existe un nombre imposant de maladies qui dérivent de la sédentarité et de la surabondance de recettes sur les dépenses organiques. La goutte, la gravelle, le diabète, l’obésité, l’albuminurie sont de ce nombre. Le Vin Bravais, en empêchant le ralentissement nutritif, constitue, de l'avis de la science, le meilleur remède préventif et curatif à apposer à ces « maladies de richesses ».

 6 février

Samedi
6 février 1897

A LA RUE RÉAUMUR

L'inauguration — Programme arrêté — Distinctions honorifiques accordées.

Le protocole a réglé, hier, définitivement, avec le syndic du conseil municipal, la cérémonie d'inauguration de la rue Réaumur. Le président do la République arrivera, à deux heures, à l'estrade de la place de la Bourse. Il sera reçu par le président et les membres du conseil municipal, le préfet de la Seine, le préfet de police et le haut personnel des deux préfectures.

Après les discours, municipal et préfectoral, le président de la République se rendra à la mairie de la rue de la Banque, où il sera reçu par les conseilleras du deuxième arrondissement, le maire et les adjoints. A trois heures et quart, le cortège, qui comprendra une vingtaine de voitures, parcourra la rue Réaumur jusqu'au square du Temple. Nouvelle réception à la mairie du troisième arrondissement.

Dans la première voiture prendront place le président de la République, le ministre de l'intérieur; le président du conseil et le préfet de la Seine.

La cérémonie sera terminée à quatre heures et demie. Elle donnera l'occasion au président de la République de distribuer quelques décorations. 

A ce sujet, on raconte que le bureau- du conseil municipal avait demandé aux fonctionnaires communication de la liste des propositions. Mais le préfet de la Seine est intervenu, estimant qu'à lui seul appartenait le droit de faire des propositions.

Parmi les promus, on cite M. Huet, directeur administratif des travaux qui recevrait la cravate de commandeur. Trente-huit ans de services cravate de congé; M. Caron, l'aimable conseiller du quartier Vivienne, à l'énergie et à la ténacité duquel cette opération de voirie est due, et qui verrait arrondir son ruban rouge.

Nous aurions ainsi deux conseillers officiers de la Légion d'honneur MM, Muzet et Caron.


Mme Félix Faure reprendra ses réceptions le samedi 13 février.


Mercredi aura lieu l'installation de M. l'abbé Blériot, ancien curé de Notre-Dame de-la-Croix, de Ménilmontant, nommé curé de Saint-Pierre de Montrouge.


Le cardinal Richard, archevêque de Paris, célébrera, jeudi prochain, le vingt-cinquième anniversaire de sa consécration épiscopale par une messe, à neuf heures du matin, à Notre-Dame.

Des messes seront dites, le même jour, à cette occasion, par tous les curés du diocèse. ̃


Ce n'est pas, maintenant, avant le 31 décembre 1905 que le Cercle militaire pourra déménager du coin de la rue de la Paix et de l'avenue de l'Opéra.

D'après le numéro de la « Revue du Cercle » qui a paru hier, le général Billot a informé le gouverneur militaire de Paris, président, qu'il approuvait, pour une période de six années, l'acte de prolongation du bail expirant le 31 décembre 1899.


Il existe, contre l'anémie et la faiblesse générale (qui dominent à notre époque) un grand nombre de remèdes. Mais la faveur des maîtres de la médecine est, aujourd'hui, acquise aux toniques utiles, à la fois, à la nutrition, au sang et au système nerveux, trépied vital de la santé parfaite. C'est pourquoi le Vin Bravais, à la base de kola, coca, cacao et guarana, jouit auprès de la science d'une renommée ancienne, incontestée et toujours grandissante, en dépit des vains efforts de l'imitation.


Pastilles Poncelet

N°6 ― Le feuilleton du journal

 La malicieuse personne avait app

La malicieuse personne avait appris à son pensionnat que les jeunes gens n'ont été créés que pour la commodité et la distraction des belles personnes, et comme elle se savait très jolie, elle cherchait en quoi le voisin de son père pourrait lui être utile ou agréable. Elle l'avait trouvé assez gauche dans ses mouvements, assez mal tourné dans ses vêtements noirs. Son visage, à vrai dire, lui avait paru sup- portable, encore qu'il fût déparé par un air de timidité qui le rendait glacial. Ce monsieur riait-il quelquefois, causait-il seulement, était-il capable de danser ? Enfin quelle ressource pouvait-il être pour une jeune fille, qui sortait des classes de Mlle Formentin, après dix ans de compression pédagogique, avec un désir immodéré de s'amuser ?

Paul Daniel ne paraissait pas vraiment offrir de sérieuses garanties, et il faut avouer que la première impression qu'il produisit fut défavorable. Mais il n'avait pas encore parlé, et tous ceux qui le connaissent savent quelle puissance de grâce et de séduction réside dans sa voix et dans son regard, quand il s'anime et veut convaincre. Le lendemain, après avoir étonné ses élèves par la distraction inusitée qu'il eut en faisant son cours, vers quatre heures, comme Mlle Guépin se promenait dans le petit jardinet qui s'étendait derrière la maison, juste assez grand pour contenir deux carrés de légumes, un puits et une plate-bande de giroflées, Paul se hasarda à pénétrer dans cet Éden. La jeune fille paraissait s'y ennuyer prodigieusement. Depuis le déjeuner, elle y faisait prendre l'air à sa rêverie, peut-être y cherchait-elle le serpent. Elle n'y trouva qu'un professeur de philosophie. Mais, ce jour-là, Daniel n'était plus paralysé par une terreur folle, il osa faire la conversation, et comme il avait de l'esprit, et surtout comme il désirait plaire, il sut distraire la charmante Florence qui dut s'avouer que la vie serait vraiment acceptable, à Beaumont, pour peu qu'il s'y trouvât une demi-douzaine de jeunes gens, professeurs ou autres, qui songeraient à mettre en commun leur ingéniosité et leur verve afin de lui procurer de l'amusement.

En attendant elle s'accommoda de son voisin, lui prodigua les sourires, les coquetteries, et l'affola si bien qu'il s'en ouvrit naïvement à sa mère, comme un véritable enfant qu'il était resté pour elle, lui déclarant que, hors de la possession de cette aimable fille, il ne connaissait pas de bonheur possible pour lui dans la vie. La mère Daniel fut très étonnée de cette soudaine éruption que rien n'avait fait prévoir, elle en fut même inquiète. Elle avait à peine soupçonné la présence de la jeune Florence dans la maison, et déjà elle en voyait les effets foudroyants. Son fils, à n'en pas douter, était en proie à une fièvre d'amour qui ne lui laissait plus la libre disposition de ses facultés. Et si le malheur voulait que du côté de la jeune fille il se heurtât à une résistance, très possible sinon probable, qu'allait-il devenir et qu'en pourrait-elle faire ?

Elle essaya de le raisonner, de lui remontrer qu'il était bien jeune, que sa situation, pour assurée qu'elle fût, n'était pas brillante, que la fille de M. Guépin montrait un goût d'élégance et un raffinement de toilette qui détonnaient avec le métier modeste de son père. Elle insinua que la jeune Florence lui semblait évaporée et coquette, et que la gravité du caractère de Paul s'accommoderait mal de cette légèreté. Les femmes de messieurs les professeurs étaient toutes personnes sérieuses et même un peu sévères; elle n'ajouta pas qu'elles étaient toutes laides, ce qui était vrai, et qu'il fallait que la femme de Paul le fût aussi. Il ne lui parut pas que le devoir d'un membre de l'Université dût aller jusqu'à un pareil renoncement professionnel. Elle ajouta à son discours beaucoup d'exclamations et un nombre considérable de soupirs, mais elle n'eut aucune prise sur l'esprit de son fils qui lui déclara, après comme avant, qu'il voulait devenir le mari de Mlle Florence, sous peine de ne prendre aucun plaisir à la vie. La mère Daniel était une brave femme, elle n'avait pas pensé une seule fois à elle-même, à son avenir, en tenant à son fils le langage raisonnable qui venait de le laisser si insensible. Elle dit alors : « Tu veux épouser cette jeune personne. C'est bien, je vais demain en parler à son père. »

Guépin était extrêmement appliqué à cheviller une persienne, quand Mme Daniel se présenta pour parler à son voisin. Celui-ci, sans remettre sa veste, introduisit la mère du jeune professeur dans sa salle à manger, qui était contigüe à son atelier, et pendant que ses ouvriers sciaient, rabotaient, clouaient avec un bruit diabolique, il fit asseoir la visiteuse et lui demanda, en criant, pour se faire entendre, ce qui lui valait le plaisir de la voir. Il se disait en lui-même : « Voilà une brave dame qui a besoin d'une bonne caisse pour serrer ses affaires à l'abri des mites et des papillons, pendant l'été, et qui vient me la commander. » Mme Daniel aussitôt, sans précaution oratoire déclara, en criant aussi, que son fils était amoureux fou de Mlle Florence et qu'il en perdait le boire et le manger. Le menuisier dit : « Fichtre ! » et comprenant qu'il n'était guère possible de continuer une conversation aussi importante au milieu d'un pareil vacarme, il se leva, ouvrit la porte de l'atelier, regarda l'heure au coucou qui battait, ajoutant son tic tac à tous les bruits du travail, et dit : « Garçons, il est 4 heures, tournez-moi les talons, allez goûter. Vous reviendrez à la demie. »

Il ferma la porte, se rapprocha de Mme Daniel et la regardant avec une surprise attendrie : « Alors comme ça, votre fils trouve ma Florence à son gré ? Ça ne m'étonne pas, car c'est une personne très instruite et qui sait se tenir comme dans la société. Il est sûr qu'elle n'est point faite pour épouser un ouvrier comme son père. Mais vous savez, ma voisine, je ne la contrarierai pas, et avant tout il faut que M. le professeur lui plaise. Pour ce qui est de l'instruction, je trouve flatteur d'avoir un gendre savant, moi qui ne suis qu'un âne. Ma Florence aura un joli sac, quand j'aurai fini de travailler le bois, et pour l'instant je lui constitue dix mille francs en dot. » Mme Daniel dut confesser avec un peu de souci que son fils n'aurait rien que ses appointements, mais qu'il pouvait compter sur l'avenir. Un homme de sa valeur n'était pas fait pour s'enterrer toute sa vie dans un lycée de province. Elle prononça le mot de « Paris » et vit la figure du menuisier s'épanouir. Il était évident que le brave homme, si simple et presque humble quand il s'agissait de lui-même, avait rêvé pour sa fille de brillantes destinées. Mais il devint réservé, presque silencieux, à partir de ce moment-là, et accueillit les amplifications de Mme Daniel avec un air de gravité. Il déclara à la voisine qu'il parlerait à sa fille de la proposition qui lui était faite, et que si elle ne la repoussait pas de prime abord, il consulterait certaines gens dans lesquels il avait grande confiance, afin de savoir au juste ce que la carrière d'un professeur de philosophie pouvait offrir de satisfaction à la juste ambition d'une femme.

Mme Daniel, comprenant qu'il n'y avait plus une parole utile à échanger avec Guépin, prit congé de lui en le priant de ne pas laisser languir son fils qui se morfondrait en attendant une réponse. Le menuisier retrouva sa langue pour dire qu'il savait ce que c'était qu'aimer, et qu'il ne voulait faire de chagrin à personne. Il se montra bonhomme, comme au début de l'entretien, et ses ouvriers recommençant à faire rage dans l'atelier, il reconduisit Mme Daniel jusqu'à l'escalier, et lui fit ses adieux en pantomime.

GEORGES OHNET
A suivre...
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